lundi 11 juillet 2011

Massif jurassien : la peur du grand méchant loup

Environnement. Depuis que le loup a fait son retour en Franche-Comté, ses défenseurs comme ses détracteurs s’inquiètent d’une possible installation du grand prédateur dans le massif. Et demandent à l’État d’anticiper.
Depuis le début du mois de juin, on reparle beaucoup du loup en Franche-Comté : vu dans le Doubs et le haut Doubs, il aurait attaqué des troupeaux (plus d’une quarantaine de brebis) jusque dans le Jura, à Lemuy (lire ci-dessous), avec une montée en puissance ces derniers jours.
Face à la pression des agriculteurs francs-comtois, l’État a commencé, jeudi, à envisager des tirs de défense pour faire fuir l’animal, prévus dans l’arrêté ministériel concernant les attaques de loup. La véritable psychose qui règne dans le nord de la région est en train de s’étendre au Jura, où elle reste encore à l’état de crainte. Une peur partagée par ses défenseurs et ses détracteurs « naturels » que sont les éleveurs et les chasseurs, qui prédisent son retour depuis plusieurs années. Ils demandent unanimement à l’État de prendre des mesures, d’action et d’anticipation.
La présence du loup dans le Jura n’est pas inédite, son dernier passage remarqué remonte à 2007, à Grande-Rivière. « Le problème avec le loup, c’est que sa présence est toujours difficile à prouver, souligne Patrice Raydelet, président du Pôle grands prédateurs Jura. À Lemuy il n’a pas été formellement identifié, mais par rapport aux morsures et au mode de consommation, c’est plus que probable qu’il s’agisse d’un loup. »
Le loup vivait dans le Jura au début du XX e siècle ; il a été observé pendant la Première Guerre mondiale puis a disparu avant la Seconde, dans les années 1930-1940. « On connaît toutes les légendes, l’homme a toujours essayé de s’en débarrasser. En France, où l’espèce est protégée, restent aujourd’hui entre 150 à 180 spécimens. Étant à un saut de puce des Alpes, c’est évident qu’un jour ou l’autre il effectue des passages dans le Jura ; mais peut-être qu’à terme il s’installera, si un couple crée une meute. C’est pour ça qu’on communique : pour rassurer la population et apporter un soutien technique aux éleveurs. Si le loup revient définitivement dans le Jura, il n’y aura pas d’incidence sur la vie des Jurassiens : ce sont les éleveurs qui vont en pâtir. » Les chiens patous, qui ont fait leurs preuves avec le lynx, ne suffisent pas : « Il faudra envisager des parquages, plus de chiens par troupeau avec d’autres conduites… Notre première action concrète a été d’en fournir un à une éleveuse de brebis à Levier, fin juin. Il faut que l’État apporte des moyens de protection pour cohabiter avec le loup, dès maintenant. »
Depuis Lemuy, il y a tout juste un mois, aucune attaque (présumée) de loup n’a été déclarée dans le Jura.
Mais la Chambre d’agriculture départementale reste à l’affût : « Nous sommes farouchement opposés au laisser-faire ambiant sur l’extension du loup dans la région, grogne Dominique Chalumeaux, son président. On sait qu’il n’arrête pas d’accroître son territoire. C’est un danger pour l’élevage dans le Jura. On a beau nous promettre des indemnisations, le compte n’y sera jamais. Les éleveurs d’ovins ont déjà assez de difficultés économiques, ce sont souvent eux qui sont le dernier rempart contre la friche et la désertification. La montagne est belle quand elle est exploitée ! On aspire donc à ce que le département reste à l’écart de la colonisation. Si le loup se met en meutes, il y aura des conséquences très fortes sur le devenir d’un certain nombre d’éleveurs. Ils vont se mettre à renoncer, à changer de production ou ne s’installeront pas. Il y avait déjà le lynx, avec lequel ils ont appris à vivre. Mais le lynx est un tout petit prédateur par rapport au loup ! Le loup crée un vrai traumatisme, la cohabitation est trop difficile. »

Les chasseurs exigent des mesures

Chez les chasseurs aussi on montre les crocs. « Malheureusement je constate que toutes les remarques et les craintes, émises par les agriculteurs comme les chasseurs, ne sont pas prises en compte ! tempête Christian Lagalice, président de la Fédération des chasseurs du Jura. Comme pour le lynx ! On pense que les effectifs en France sont minimisés ; il doit y avoir 200 loups, c’est-à-dire une survie quasi-assurée. C’est une espèce protégée mais avec un statut qui n’empêche pas les tirs. Son retour dans les forêts franc-comtoises pose un certain nombre de problématiques : le coût (le ‘‘Projet loup’’ coûte des millions d’euros par an en remboursements et études) et l’impact particulièrement fort sur les activités agricoles et gigantesque sur la faune sauvage. Il a quasiment fait disparaître le mouflon de la Drôme ! ». Le loup a sa place dans la biodiversité mais à un moment il faut prendre des mesures de régulation, sinon on va au-devant de gros problèmes. Ce qui est à l’ordre du jour c’est de garantir la pérennité de l’animal ET des activités humaines. Le Plan national Loup arrive à échéance en 2011. On demande que le nouveau plan 2012-2015 aborde l’intérêt cynégétique et pas seulement le pastoralisme ; il n’est pas considéré comme acquis que la population de chamois soit offerte au loup ! La régulation du loup est un axe politique majeur. Au lieu d’une gestion nationale, il faut une gestion décentralisée par grands massifs. Il est trop facile de voir ça depuis les bureaux parisiens du ministère, il faut être sur le terrain ! »

Daniel Joly : "Ce n'est ni un chien ni un lynx qui a attaqué mon troupeau"

Sur ce cas, l’État ne communique pas. Une plainte a été déposée, l’ONCFS a procédé aux constatations… » Mais comme d’habitude, on parle de probabilité, alors que c’est une certitude : ce n’est ni un lynx ni un chien qui est capable de faire ça, ça ne peut être que le loup ! Heureusement qu’il a été pris en photo à Septfontaine, sinon, on en serait encore aux mêmes débats. » Daniel Joly, éleveur de brebis à Lemuy, à la frontière du Doubs, a trouvé au matin du 5 juin, en forêt, cinq de ses bêtes mortes et cinq blessées. Prêt à prendre sa retraite, à 60 ans, il a connu depuis 1976 cinq attaques de lynx et plusieurs de chiens. « Mais le loup, c’est une première. Je n’avais jamais vu ça, un vrai tueur, un vrai massacre ! » Une semaine plus tard, il a vu revenir deux brebis à moitié mortes. Ex-vice-président du syndicat ovin, les grands prédateurs, il connaît. « Le lynx est encore tolérable mais un tel carnage c’est inhumain, pour moi, pour le loup, c’est l’abattage immédiat. Mais ils ne l’auront pas ! Ils veulent faire revenir les grands prédateurs ? OK. Nous, on veut défendre notre outil de travail. C’est moins stressant pour moi que pour un jeune qui vient de s’installer mais c’est plus d’un mois de salaire. Essayez de vous imaginer que chaque matin vous ayez peur de trouver vos pneus crevés en partant au travail, c’est pareil. Qu’est-ce qu’on doit faire ? Si c’est un chien et qu’on tire dessus on ira au tribunal et on perdra face à son propriétaire, si c’est un animal protégé ce sera pire… Mais nous, nos brebis ce n’est pas grave ? On ne veut pas vivre d’indemnisations ni du tourisme du loup : dans d’autres régions, il paraît que les éleveurs vendent des peluches ! »
http://www.leprogres.fr/jura/2011/07/10/massif-jurassien-la-peur-du-grand-mechant-loup

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